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Musique IA : le jackpot à un milliard d'écoutes (et zéro fan) qui secoue Spotif

Un producteur américain est accusé d'avoir empoché 10 millions de dollars grâce à des armées de robots écoutant en boucle des morceaux générés par IA. Une affaire qui expose les failles béantes du streaming musical.

Vous imaginez, vous, un album de jazz qui grimpe au sommet des charts, accumule les écoutes par millions sur Spotify et Apple Music, pour ensuite s'évaporer sans laisser la moindre trace, pas même un tweet de fan énamouré ? C'est un peu le début du film (ou plutôt, de l'affaire judiciaire) qui agite le monde du streaming musical. Au cœur du cyclone : un certain Mike Smith, accusé par le FBI d'avoir orchestré une fraude digne d'un scénario de série B, mais avec de l'intelligence artificielle et beaucoup, beaucoup d'argent bien réel.

Musique IA
20 Mai 2025 à 14h10 Par Jérôme

L'album fantôme et les premiers doutes

Tout commence en 2017. Mike Smith, entrepreneur aux muscles saillants et propriétaire de cliniques médicales, s'associe à Jonathan Hay, un publicitaire musical au look plus décontracté, pour créer un duo de jazz. Leur premier album, Jazz, ne fait pas grand bruit. Qu'à cela ne tienne, ils sortent une version Deluxe en janvier 2018. Et là, surprise : l'album se hisse numéro 1 des charts Billboard ! Hay est aux anges. Mais la joie est de courte durée. La semaine suivante, l'album disparaît complètement du classement. "Personne ne tombe à zéro la semaine suivante," se souvient Hay, perplexe.

En épluchant les statistiques sur le tableau de bord Spotify réservé aux artistes, Hay découvre que les auditeurs semblent concentrés dans des contrées lointaines, comme le Vietnam. Plus étrange encore, les distributeurs, ces sociétés qui gèrent la diffusion de la musique des artistes indépendants, commencent à signaler la musique de Smith et Hay pour fraude au streaming et à la retirer des plateformes. Smith minimise, évoque des erreurs de droits sur des samples. Mais le malaise s'installe.

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L'IA entre en scène, les dollars aussi

L'affaire prend une autre dimension lorsque le FBI arrête Mike Smith en septembre dernier. L'accusation ? Avoir empoché plus de 10 millions de dollars de royalties entre 2017 et 2024 en utilisant des armées de bots pour écouter en continu des morceaux... générés par intelligence artificielle. Oui, vous avez bien lu.

Au cœur du dispositif, selon l'acte d'accusation du gouvernement américain, se trouverait une collaboration avec Alex Mitchell, le PDG d'une start-up nommée Boomy, spécialisée dans la génération de chansons par IA. Concrètement, ces outils permettent de "créer" de la musique en sélectionnant ou en personnalisant des instructions sur le style et la sonorité des morceaux. Un peu comme si vous donniez quelques indications à une machine – "fais-moi un air de jazz qui sonne comme ci, avec une touche de ça" – et hop, elle vous pond une mélodie.

Smith aurait ainsi reçu "des milliers de chansons chaque semaine" de la part de cette entreprise. Des morceaux aux noms aussi poétiques que "Zygophyceae" ou "Zygopteraceae", attribués à des artistes fantômes aux pseudonymes improbables comme "Calm Force" ou "Calorie Event". Ensuite, la combine était simple, mais redoutable : Smith aurait mis en ligne cette musique sur les plateformes de streaming et, à l'aide de sous-traitants, créé des milliers de faux comptes. Grâce à de "petits morceaux de code informatique" achetés pour l'occasion, il aurait commandé à sa propre armée de bots (des programmes informatiques automatisés) de jouer ses titres générés par IA non-stop. Chaque écoute déclenchant des paiements de royalties. Un système bien huilé pour, si les allégations sont prouvées, devenir un maître dans l'art du "slop IA", cette bouillie algorithmique qui inonde le net.

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Le "slop" IA, nouvelle pollution sonore ?

Car le cas de Mike Smith, bien que spectaculaire, est loin d'être isolé. Selon une étude de 2021 du Centre National de la Musique en France, environ 1 à 3 % de tous les streams étaient frauduleux. La start-up Beatdapp, qui développe des outils de détection de fraude, avance même le chiffre de 10 %. Certains de leurs clients signaleraient régulièrement entre 17 et 25 % de streams frauduleux, voire la moitié dans certains cas ! Morgan Hayduk, co-PDG de Beatdapp, qualifie les générateurs de chansons par IA de "superchargeurs" pour ce type de comportement. Deezer, la plateforme de streaming française, estime que 10 % des chansons mises en ligne chaque jour sont générées par IA.

Le plus piquant ? Créer une quantité astronomique de musique par IA et la mettre sur un service de streaming n'est pas techniquement illégal. C'est peut-être de mauvais goût, un manque de respect pour l'art, mais pas forcément contre la loi (sauf si l'IA a été entraînée sur des musiques protégées sans autorisation, ce qui est un autre débat). Le hic, ce sont les bots et les faux comptes, souvent interdits par les conditions d'utilisation des plateformes.

Le saviez-vous ?

L'idée de gonfler artificiellement le succès n'est pas nouvelle. Déjà au XIXe siècle en France, des "claqueurs" étaient payés pour remplir les salles d'opéra et applaudir frénétiquement pour assurer le succès d'une œuvre. L'ancêtre du bot, en quelque sorte !

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Spotify se défend, le système en question

Face à cette affaire, Spotify, le géant du secteur, affirme que ses programmes de détection de fraude ont fonctionné et limité les royalties que Smith a pu générer de sa plateforme à environ 60 000 dollars sur les 10 millions allégués. D'autres plateformes comme Apple Music, YouTube Music ou Tidal n'ont pas souhaité commenter. Pendant que les plateformes et les distributeurs s'arment de technologies de détection de plus en plus sophistiquées dans une sorte de guerre "IA contre IA", certains experts soulignent que le vrai problème réside dans la structure même des paiements de royalties par les services de streaming. Seule une refonte totale pourrait, selon eux, endiguer le phénomène.

Ironiquement, dans certains recoins du monde musical, Smith n'est pas vu comme un méchant. Goldy Locks, une ancienne cliente de Smith, rapporte que certains le voient comme un Robin des Bois des temps modernes, exploitant un système déjà perçu comme exploitant les artistes. Après tout, la frontière entre audience organique et payée a toujours été floue.

L'affaire Mike Smith, s'il est reconnu coupable (il plaide non coupable et risque jusqu'à 60 ans de prison), est symptomatique d'une ère où l'intelligence artificielle offre de nouveaux "cadeaux aux arnaqueurs", comme le souligne l'article de WIRED. Elle met en lumière la facilité déconcertante avec laquelle on peut aujourd'hui produire du contenu à la chaîne et potentiellement manipuler les systèmes conçus pour rémunérer la création. Alors que l'enquête suit son cours, cette histoire rocambolesque pose une question de fond : comment s'assurer que les clics qui génèrent des revenus correspondent à de vraies oreilles et à une véritable appréciation artistique ?

Au fond, cliquer sur quelques boutons pour créer une chanson, c'est à la portée de (presque) tous. En faire une fortune sans le moindre fan ? D'un certain point de vue, c'est peut-être un crime. D'un autre, c'est une nouvelle forme d'art... de la débrouille numérique. L'avenir, et les juges, nous le diront. En attendant, ouvrez l'oreille, la vraie !

Auteur : Jérôme Chaudier

Expert en développement web, référencement et en intelligence artificielle, mon expérience pratique dans la création de systèmes automatisés remonte à 2009. Aujourd'hui, en plus de rédiger des articles pour décrypter l'actualité et les enjeux de l'IA, je conçois des solutions sur mesure et j'interviens comme consultant et formateur pour une IA éthique, performante et responsable.

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