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Dans votre cerveau, personne ne doit vous entendre penser : l'urgence des « neurodroits »

Les technologies qui se connectent à notre cerveau arrivent à grands pas. Face aux appétits des géants de la tech, des chercheurs plaident pour la création de nouvelles protections afin de garantir l'inviolabilité de notre jardin secret.

Dans votre cerveau, personne ne doit vous entendre penser : l'urgence des « neurodroits »
11 Août 2025 à 17h23 Par Jérôme

Et si votre prochain casque audio devinait votre humeur avant même que vous en ayez conscience ? Mieux : et s'il était capable de l'influencer discrètement ? Cette perspective, qui oscille entre le gadget de science-fiction et le cauchemar orwellien, est au cœur d'une révolution silencieuse : celle des neurotechnologies. Portées par les progrès fulgurants de l'intelligence artificielle, ces nouvelles technologies promettent des miracles, notamment pour la médecine. Mais elles ouvrent aussi une boîte de Pandore aux enjeux éthiques vertigineux.

Car si une machine peut lire dans nos pensées, qui nous garantit que nos données cérébrales resteront privées ? C'est tout le sujet d'une étude menée par l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), qui tire la sonnette d'alarme sur la nécessité de protéger ce que l'on pourrait appeler notre « vie privée mentale ».

Mon cerveau, ce nouvel eldorado

Avant de paniquer, parlons des promesses. Les neurotechnologies, ce sont tous ces outils capables d'interagir avec notre système nerveux. La plus connue est l'interface cerveau-ordinateur (ou BCI, pour Brain-Computer Interface), ce dispositif qui permet à notre cerveau de dialoguer directement avec une machine. Selon les recherches de l'EPFL, les applications médicales sont immenses : restaurer la motricité, les capacités cognitives ou la communication chez des patients qui en sont privés. Une perspective réjouissante.

Mais il y a un revers à cette médaille scintillante. Ces mêmes technologies pourraient permettre à des entreprises, ou à des acteurs malveillants, d'accéder à nos données les plus intimes : nos pensées, nos souvenirs, nos émotions. C'est là qu'intervient Marcello Ienca, professeur à l'Université technique de Munich (TUM) et expert en neuroéthique, qui a mené le projet « Hybrid Minds » à l'EPFL entre 2021 et 2024. Pour lui, le constat est sans appel : « Les données neuronales révèlent nos états mentaux, cognitifs et émotionnels et sont directement liées à notre essence en tant qu'individus ».

En clair, il ne s'agit plus de simples données personnelles comme votre adresse ou vos habitudes d'achat. Il s'agit de ce qui définit « qui nous sommes ».

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Les « neurodroits », un bouclier pour la pensée

Face à ce nouveau Far West des données, une idée a germé. Dès 2017, Marcello Ienca et ses collègues de l'ETH Zurich ont proposé un concept inédit : les « neurodroits » (neurorights). L'idée ? Considérer la protection de nos pensées et de nos processus mentaux comme un droit humain fondamental.

C'est un peu comme si l'on devait mettre à jour le logiciel de nos droits fondamentaux. Comme le souligne le chercheur, les rédacteurs de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 n'avaient évidemment pas anticipé qu'une machine puisse un jour décoder une intention de vote directement à la source. Les « neurodroits » visent donc à étendre les protections existantes ou à en créer de nouvelles, adaptées à cette réalité imminente.

Neuralink en ligne de mire

La menace n'est pas si lointaine. Les ambitions d'Elon Musk avec sa société Neuralink, qui souhaite implanter des puces cérébrales à des millions de personnes, y compris à des fins non médicales, cristallisent ces inquiétudes. « Qu'une seule entreprise monopolise le cerveau humain est la chose la plus dangereuse pour l'humanité », prévient Marcello Ienca.

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Mais le danger ne vient pas uniquement des implants chirurgicaux. La véritable porte d'entrée massive pourrait être beaucoup plus discrète. Des capteurs EEG (qui mesurent l'activité électrique du cerveau) non invasifs commencent déjà à être intégrés dans des objets du quotidien, comme des casques audio ou des bracelets de fitness. Pour les entreprises, c'est une aubaine. Comme le rappelle le professeur Ienca, « plus de données signifie des IA mieux entraînées et des algorithmes de prédiction plus puissants ». Le risque est double : une surveillance de notre vie privée mentale et une possibilité de manipulation de nos désirs et de nos décisions, directement à la source.

Le saviez-vous ?

La prise de conscience est en marche. Aux États-Unis, l'État du Colorado a été le premier, en avril dernier, à adopter une loi pour protéger les données neuronales au même titre que l'ADN ou les empreintes digitales. La Californie lui a emboîté le pas. En Europe, le débat est également sur la table. Le Conseil de l'Europe, qui rassemble 46 États membres, doit discuter en juin 2025 d'une révision de sa Convention 108 sur la protection des données, un texte fondateur datant de 1981, pour y intégrer ces nouveaux enjeux.

La course est donc lancée. D'un côté, une innovation technologique galopante. De l'autre, une réflexion juridique et éthique qui tente de garder le rythme. Pour Marcello Ienca, l'Europe a une carte à jouer en proposant une « stratégie d'équilibre » : ne pas freiner l'innovation, mais l'encadrer par le droit pour éviter les dérives et les monopoles. Un leadership démocratique pour s'assurer que cette technologie reste au service de l'humain.

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Alors que les géants de la tech voient déjà nos cerveaux comme leur prochaine mine de données, il devient urgent de définir les règles du jeu.

Après tout, la dernière frontière n'est peut-être pas l'espace, mais les quelques centimètres qui se trouvent entre nos deux oreilles.

Auteur : Jérôme Chaudier

Expert en développement web, référencement et en intelligence artificielle, mon expérience pratique dans la création de systèmes automatisés remonte à 2009. Aujourd'hui, en plus de rédiger des articles pour décrypter l'actualité et les enjeux de l'IA, je conçois des solutions sur mesure et j'interviens comme consultant et formateur pour une IA éthique, performante et responsable.

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