L'IA dans nos médias : simple gadget ou futur du journalisme ?
Des transcriptions automatiques aux enquêtes augmentées, l'intelligence artificielle s'installe dans les rédactions françaises et américaines. Entre espoirs de productivité et craintes éthiques, le journalisme cherche sa voie.
Vous imaginez, une petite main invisible qui transcrit vos interviews en un claquement de doigts, qui vous aide à dénicher la pépite d'or dans une montagne de données, ou qui rédige même les résultats du match de foot de quartier ? Cette petite main, c'est un peu l'intelligence artificielle (IA) qui s'invite de plus en plus dans les coulisses de nos médias. Mais alors, révolution ou simple coup de pouce technologique ? Plongeons dans les rotatives du futur, en France et outre-Atlantique.
L'IA en France : une adoption prudente mais des outils déjà bien présents
En France, on n'est pas du genre à se jeter sur la dernière nouveauté sans réfléchir. L'enquête d'Oxygen RP de septembre 2024 le montre bien : plus de la moitié des journalistes français (51,85 %) déclarent ne pas utiliser l'IA pour rédiger leurs articles. Et quand ils le font, c'est souvent du bout des doigts, pour moins d'un quart de leurs productions. Une prudence qui s'explique : 61,73 % craignent que l'IA ne nuise à l'éthique journalistique, un pilier sacré de la profession. D'ailleurs, selon le baromètre IFOP de juillet 2024, si 78 % des Français connaissent les IA génératives – ces IA capables de créer du contenu –, une inquiétude grandissante se fait sentir, notamment sur la sécurité des données (62 %) et le droit d'auteur (58 %).
Pourtant, l'Hexagone n'est pas en reste côté innovations.
- Le concept clé : Le "journaliste augmenté". Comme l'explique le site Narratiiv.school, l'IA ne vise pas à remplacer le journaliste, mais à l'assister. C'est un peu comme si on lui donnait une super-boîte à outils. Pensez à la transcription automatique des interviews, qui, selon le Ministère de la Culture, est utilisée par Radio France depuis 2016, faisant gagner un temps précieux. Pour ceux qui voudraient explorer plus en détail comment retranscrire de l'audio en texte avec l'IA, des outils comme Deepgram offrent des solutions performantes.
- Des outils "made in France" (ou presque) :
- France Télévisions est sur le pont, avec des outils maison comme medIAGen, une plateforme sécurisée qui centralise plusieurs IA génératives majeures (ChatGPT, Gemini, Mistral, Claude), ou encore Raiponse, un assistant RH basé sur l'IA, comme détaillé sur leur page dédiée à leurs initiatives IA. Pour le public, cela se traduit par exemple par le sous-titrage quasi-instantané de la chaîne franceinfo.
- Le Monde, en collaboration avec l'Inria (Institut National de Recherche en Informatique et en Automatique), a vu naître ConnectionLens, un outil capable de démêler les liens complexes dans de vastes ensembles de documents – pratique pour les enquêtes ! Polytechnique Insights souligne aussi l'outil StatCheck, développé avec Radio France, pour vérifier des informations statistiques en les croisant avec les bases de données de l'INSEE.
- L'éthique avant tout : Le Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), comme le rappelle le CLEMI, a posé des garde-fous. Pas question de publier des contenus intégralement générés par IA sans contrôle éditorial. La transparence est le maître-mot : si l'IA a aidé, il faut le dire.
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Les États-Unis : une course à l'IA, entre enthousiasme et sérieuses interrogations
De l'autre côté de l'Atlantique, l'ambiance est un peu différente. Pour les médias américains, l'IA est devenue "existentielle", comme le clame un rapport de WAN-IFRA (World Association of News Publishers). On expérimente à tout-va, des grands noms aux petites structures.
- Le concept clé : L'automatisation au service de l'info. L'Associated Press (AP) fait figure de pionnière. Dès 2014, elle automatisait la rédaction de comptes-rendus financiers. Aujourd'hui, son initiative "Local News AI" explore comment l'IA peut aider les rédactions locales avec des transcriptions, des résumés, ou même le tri des communiqués de presse. Le but ? Libérer les journalistes des tâches répétitives pour qu'ils se concentrent sur le reportage de fond.
- Des exemples qui parlent :
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- Le New York Times, bien que plus prudent et actuellement en litige avec OpenAI pour des questions de droits d'auteur, utilise son outil interne Echo pour aider à la titraille, aux résumés ou aux publications sur les réseaux sociaux, toujours sous supervision humaine.
- Le Washington Post a noué un partenariat avec OpenAI pour intégrer ses articles dans ChatGPT, permettant des résumés ou des citations directes. Ils développent aussi des chatbots spécialisés, comme un sur le climat.
- Hearst Newspapers n'est pas en reste avec Producer-P, un outil basé sur Slack qui aide à la création de titres et de résumés, ou encore le "Chowbot" du San Francisco Chronicle qui donne des recommandations de restaurants.
- Un public sur la réserve : Si les rédactions américaines foncent, le public, lui, freine des quatre fers. Une étude du Pew Research Center révèle que la majorité des Américains s'attendent à un impact négatif de l'IA sur la qualité de l'information et craignent des pertes d'emplois dans le secteur. Près de la moitié des Américains ne veulent pas d'informations provenant d'IA générative, selon une étude de Poynter. La confiance est un enjeu majeur.
Le saviez-vous ?
D'après une étude de l'European Broadcasting Union (EBU) sur les rédactions à l'ère de l'IA générative, des médias publics européens comme la BBC (Royaume-Uni) ou SR (Suède) sont déjà bien avancés, avec des projets comme des "Live-Pages" automatisées ou des générateurs de sujets d'articles. L'IA n'a décidément pas de frontières !
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L'IA et les médias : pourquoi un tel engouement (et de telles craintes) ?
Que ce soit en France ou aux États-Unis, les motivations pour adopter l'IA dans les médias se ressemblent :
- Gagner du temps et de l'efficacité : C'est le Graal ! Automatiser les tâches chronophages pour se concentrer sur l'essentiel. Le baromètre IFOP montrait que les utilisateurs d'IA génératives estiment gagner 38% de productivité.
- Faire plus avec moins (ou autant) : Analyser des montagnes de données pour une enquête, personnaliser les contenus pour chaque lecteur, créer des formats innovants.
- Rester dans la course : Dans un monde de l'information qui va toujours plus vite, l'IA est vue comme un outil pour ne pas se laisser distancer. Plus de 75% des éditeurs (selon une enquête mondiale citée par MDPI) voient l'IA comme cruciale pour leur succès futur.
Mais cette médaille a son revers. Les défis sont colossaux :
- L'enjeu : La vérité, rien que la vérité ? Les "hallucinations" des IA – quand elles inventent des informations – sont une préoccupation majeure, comme le soulignait un article du Stanford Institute for Human-Centered Artificial Intelligence. La désinformation générée par IA est aussi une menace prise très au sérieux, par exemple par l'AFP avec son service "AFP Factuel" (mentionné par le Ministère de la Culture).
- Le paradoxe : Confiance vs. Performance. Le public américain, notamment, se méfie grandement des contenus générés par IA. Pourtant, les médias investissent. Comment concilier cette soif d'innovation avec le besoin vital de maintenir la confiance des lecteurs ? La transparence et l'éthique sont les réponses les plus souvent avancées. L'Online News Association (ONA) a d'ailleurs publié des lignes directrices éthiques pour l'IA dans les médias, insistant sur l'équité, la transparence, la responsabilité et la supervision humaine.
- Le casse-tête économique : Si l'IA permet de produire plus, comment la monétiser ? Et quid des droits d'auteur lorsque les IA s'entraînent sur des millions d'articles existants ? Le procès du New York Times contre OpenAI n'est qu'un début.
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L'intelligence artificielle n'est clairement plus un fantasme de science-fiction pour les médias. C'est une réalité en construction, pleine de promesses pour réinventer les manières de travailler et d'informer, mais aussi truffée de défis éthiques, économiques et sociaux. En France comme aux États-Unis, la tendance est à l'expérimentation, avec un consensus fort sur un point : l'humain doit rester aux commandes. L'IA est un outil, puissant certes, mais qui ne remplacera pas le discernement, la sensibilité et la responsabilité du journaliste.
L'avenir du journalisme ne s'écrira pas par des robots, mais avec des journalistes... augmentés, peut-être, mais toujours bien humains !
Auteur : Jérôme Chaudier
Expert en développement web, référencement et en intelligence artificielle, mon expérience pratique dans la création de systèmes automatisés remonte à 2009. Aujourd'hui, en plus de rédiger des articles pour décrypter l'actualité et les enjeux de l'IA, je conçois des solutions sur mesure et j'interviens comme consultant et formateur pour une IA éthique, performante et responsable.
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